Zicline - (juin 2003)

Appeler ton album Négatif, est-ce pour conjurer le sort réservé habituellement aux seconds albums ?

Il y a peut être un peu de ça. La chanson Négatif qui donne le titre à l'album, je l'ai écrite au moment du premier. On ne peut pas dire que ce soit prémédité mais en faire une sorte de label effectivement, cela donnait un côté trompe la mort (rire). J'ai l'impression que cet album est inachevé... j'étais parti dans un truc tellement psycho que j'aurais pu continuer à vie. Par exemple : la track liste je l'ai refaite des centaines de fois, avec des ordres virtuels.

Es-tu plutôt du genre pointilleux en studio ?

Ca dépend des projets, de la saison, de mon état, de la confiance que j'ai en moi. La semaine dernière je me suis pris trois jours de studio pour avancer et c'est allé à une vitesse incroyable. Si J'avais pu faire ça sur mon propre album, j'aurais gagné du temps !

Pourquoi avoir scindé l'album en deux parties ?

Parce que j'avais trop de chansons. Avant de commencer mon disque je voulais sortir un double. C'est raccord à ce que tu disais : le syndrome du deuxième album , je voulais trouver un truc pour qu'on ne puisse pas les comparer. Puis j'ai vite laissé tomber l'idée de ce double. J'avais vraiment du mal à les mettre à la poubelle. J'en avais 25, j'aurais pu en virer 7 ou 8 et j'en aurais encore eu 18 ou 19 et une face de 19 titres c'est très indigeste. Je me suis dis je vais faire une face B, comme New Order l'avait fait. J'ai donc fait une face A avec l'album officiel et une face B qui s'est réalisée plus rapidement mais tout aussi agréable.

Ton album est une vraie liberté d'expression dans le fond et la forme ?

Pour l'instant je n'en fais qu'à ma tête. J'ai sauté les haies à peu prêt comme il faut. Je m'en suis pris quelques unes mais j'ai surfé sur l'histoire et j'ai l'impression de pouvoir toujours faire " mon sale gosse ".

Les Etats-Unis semblent te marquer énormément ?

Comme beaucoup de petits français et d'européens. Ce que je regardais à la télé c'était américain. Rien que pour Manix et son générique. Le seul truc français c'était Les Brigades du Tigre. Parce qu'à part ça Médecin de nuit le reste n'était pas vraiment ma tasse de thé.

Cette ambiance country-folk qui ressort de l'album c'est pour briser cette image de grandiloquence qui te colle à la peau ?

Au début j'étais parti ailleurs, je ne pensais pas laisser les chansons aussi nues. En écoutant l'album j'ai trouvé que cela faisait son effet, que l'on pouvait voyager en l'écoutant. Je n'en demande pas plus que cela fasse rêver.... Je suis même allé trop dans le dépouillement mais sur scène cela fait plus habillé.

Tes passages sur scènes te rendaient malade, est ce encore le cas ?

J'avais une très grosse angoisse. Heureusement il y a eu deux, trois concerts où j'ai pu me lâcher, qui se sont bien passés et maintenant cela va beaucoup mieux. D'une manière générale pour écrire des chansons, il faut être quelqu'un d'introverti et sur la scène c'est plutôt l'autre pôle. J'ai dû me faire violence et comme un bon diesel " après la chauffe ", c'est devenu plus évident.
Le seul truc qui m'inquiète encore c'est le côté routinier d'une tournée, mais je me plains pas il y a bien pire.

Tu es un vrai boulimique de travail, est-ce dû à tes débuts difficiles ?

Je ne me suis jamais dit " c'est tous des têtes de noeuds ", " ils comprennent rien à mon style ". A chaque fois que je me prenais une claque je me disais que c'était justifié. C'est ça qui m'a donné des oeillères et qui m'a fait travailler et encore travailler jusqu'à percer un beau jour.

Mais maintenant, alors que ça marche, tu sembles encore plus acharné ?

C'est parce que je ne vois pas du tout que cela marche. Le seul changement qui me le fait constater c'est quand parfois les gens me reconnaissent dans la rue. Je n'associe pas mon nom à un succès. Si un jour j'accroche un disque de diamant j'y réfléchirais peut être mais on a encore le temps.

Certaines chansons comme Chaise à Tokyo, Glory Hole, Little Darlin ou Négatif sont musicalement des moments forts de l'album, comme si tu voulais te faire plaisir ?

Exactement. Négatif est une chanson très personnelle qui m'a fait beaucoup de bien et de mal à la fois. Rien à foutre de rien. Sampler un truc c'est vraiment un moment de plaisir. Je choisis le morceau et après c'est aux gens de ma maison de disque dans les bureaux de faire leur boulot pour les droits. Moi je m'en fous. C'est la musique et uniquement la musique qui m'intéresse.

Little Darlin contient un sample de la Carter Family, où as-tu entendu ça et comment l'as-tu intégré dans l'une de tes chansons ?

J'étais fanatique de Jimmy Rogers. Ce mec a influencé Hank Williams, Elvis, Les Beatles. C'était pas compliqué d'un point de vue généalogique de remonter jusqu'à Jimmy Rogers.

L'électronique était déjà très présente sur ton mini album remix de Rose Kennedy et là tu affirmes une certaine "touch" sans avoir de complexe ?

J'en ai mis beaucoup et j'en ai enlevé beaucoup également. Je trouvais que c'était un mariage contre nature. Cela s'apparentait à de la pose parfois. Très vite cela devient quelque chose de plastique. Quand j'enquillais six ou sept chansons à concept électro je trouvais ça très froid, cynique. Tu te retrouves vite avec un son qui fait pub pour Air France, quelque chose d'organique et ma voix ne me le permets pas. Un mec comme Christophe peut se le permettre parce que dans sa voix il y a tout un monde, Bashung aussi, quand tu vois qu'il est parti quasiment de l'opérette, on peux lui tirer un coup de chapeau !

Tu complexes légèrement avec ta voix.

De moins en moins. Je la connais, je ne suis pas naïf. Je sais qu'elle est en évolution. Mais elle a ses limites. Je fais avec.

C'est pourquoi tu te permets de produire des chanteuses à voix sans aucun sectarisme.

Non aucun. C'est l'unique chance de se faire plaisir et de se retrouver dans un monde différent. C'est de la condescendance de dire que les québécois connaissent cinq cent mots de vocabulaire et basta. Eicher aussi, c'est pas forcément ce que j'écoute mais il est tellement là que collaborer sur l'un de ses disques c'était un plaisir. De vraies vacances.

Et c'est une certaine forme de reconnaissance aussi.

C'est clair. Surtout que tu as l'industrie du disque qui se trouve derrière et qui ne fait de cadeaux à personne. Que tu aies un nom ou pas.

Produire ta soeur ça t'a fait peur ?

C'était une connerie avec Coralie. On a commencé comme un jeu avec pour mot d'ordre sur la feuille de route : le mot mignon. On ne pensait même pas le sortir. Penser à un second album pour elle est beaucoup plus dur. C'est pas moi qui le fait pour l'instant c'est Hubert Mougnier qui s'y colle.

En parlant d'Hubert Mounier (anciennement leader de l'affaire Louis Trio), le semi échec de son superbe album solo t'a-t-il fait de la peine ?

Plus que de la peine ! Son album était excellent. Je connais ce qui c'est passé d'un point de vue conjoncturel : la maison de disque qui dévisse, le mec qui signe qui se fait virer, la pochette pas très réussie mais après c'est une injustice honteuse. Heureusement qu'après avoir écrit pour Coralie, il s'y remet. Avec innocence en plus. Il n'a plus le bruit des casseroles quand il
marche.

Tu aimes citer les gens qui t'aident dans ton processus créateur.

Oui. J'aime renvoyer l'ascenseur. Sans doute parce que moi quand on ne me l'a pas rendu, cela m'a vexé et choqué d'un point de vue humain. On ne fait pas les choses sans aide, sans regard extérieur. Par exemple pour Hubert je vais mettre le turbo pour que cela puisse aboutir.

Par contre en sens inverse, il t'arrive souvent de te dénigrer. Est-ce de la provocation ?

Pas du tout. C'est un exutoire en fait. J'ai toujours envie de faire un disque pour ma discothèque.

Ton épouse joue un rôle important sur cet album ?

J'avais besoin d'une voix extérieure. Quand elle chantait avec moi à la maison j'avais l'impression qu'il y avait une troisième voix qui venait se mêler aux nôtres. Je l'ai un peu embrouillé.

Contrairement à ce qui a été dit Négatif est aussi thématique que l'était Rose Kennedy, il y a un fil conducteur qui relit toutes tes chansons. Est-ce un peu tes "Idées Noires" à toi ?

Cet album est super thématique, le comparer aux " Idées Noires" de Franquin me fait très plaisir, c'est un de mes livres préférés. Je crois que pour lui ce fut un grand exutoire au succès de Gaston. Mon disque n'est pas tellement un disque à chansonnette.

Surtout que l'écoute de tes chansons peut se faire de plusieurs manières, d'un côté l'on peut penser à une chanson française ordinaire et soudain en écoutant plus précisément les textes, s'étonner de toute cette " perversité " ?

C'était vraiment un truc que je cherchais.

Le sang et des mots orduriers sont très présents ?

Je me suis tellement interdit d'en dire. J'étais un vrai psychopathe à ne pas employer de mots qui pourraient choquer. Quand j'ai sorti " Billy Bob à raison les gens sont tous des cons " je cherchais des phrases comme " Billy Bob à souffert les gens sont tous des chiens ", j'essayais de trouver le moyen de le dire sans vraiment le dire et c'est Chiara qui m'a dit " arrête c'est très bien comme ça ! "

Et en arriver à la chanter en public ?

Sur scène c'est hyper gênant. Quand on leur balance ça dans la gueule alors que c'est pas destiné aux gens, il y a toujours un moment où je suis mal à l'aise.

On te qualifie de producteur de femmes, que penses-tu de ce qualificatif ?

Je suis content !

Tu n'es pas très sympa avec Villefranche sur Saône dans certaines interviews. As tu pensé au syndicat d'initiative de cette ville ? Ils doivent suer des gouttes à chacune de tes apparitions.

Ca a été vachement déformé. Mais pour les gouttes de sueur je sais que c'est le cas (rire). Ca faisait marrer la presse de savoir que j'étais un petit trash qui venait d'un endroit vraiment merdique. Ca a toujours été résumé par " le working class héros qui chie dans la colle ". Si j'avais rencontré la femme de ma vie à Villefranche sur Saône je ferais moins le malin.

-- Pierre Derensy